En 1976, se rencontrent deux étudiants de l'université de Queens à Brisbane. Tous les deux suivent des cours de théâtre, leurs vinyles des Ramones et de Jonathan Richman sous le bras. Robert Forster et Grant McLennan, deux musiciens et auteurs, lient une belle amitié qui se nommera The Go-Betweens dès 1977. Très vite le groupe s'impose et devient phare dans le milieu du rock et de la pop. Ils débarquent en Europe à 20 ans, contacté par le label Postcard de Glasgow qui les fait jouer à Edimbourg avec Orange Juice. Il y aura une suite de singles en 1978 et 1979, comptant la présence du guitariste Peter Milton Walsh qui ne tarde pas à créer son propre groupe The Apartments. Le duo devenu trio avec la batteuse Lindy, fiancée de Robert, signe six albums au cours des années 80 fourmillant de références littéraires et cinématographiques parce que les deux artistes se nourrissent d'Hemingway, Genet, Joyce, Charlie Chaplin, Camus, Sartre, Godard et la Nouvelle Vague, Marcel Proust etc.
De 1982 à 1988 paraitront Send Me a Lullaby, Before Hollywood, Spring Hill Fair, Liberty Belle and the Black Diamond Express, Tallulah et 16 Lovers Lane. Pour ces deux derniers albums, la chanteuse et violoniste Amanda Brown intègre la joyeuse troupe. Il y a un long hiatus de 1989 à 2000, année où les deux artistes complices reviennent en studio pour signer The Friends of Rachel Worth, suivi en 2003 de Bright Yellow Bright Orange et Oceans Apart en 2005 qui remporte une récompense à l'ARIA Music Awards. En 2005, Forster féru de livres et d'écriture depuis ses études universitaire en littérature et histoire de France du XVIII ème siècle, est invité à rédiger des articles pour le magazine australien The Monthly. Ses chroniques plaisent tant qu'il recevra un Pascall Prize un an plus tard. Cette même année 2006, alors qu'avec Grant ils travaillent à leur dixième album, celui-ci meurt d'une crise cardiaque. Les deux amis fans de Bob Dylan et de Lou Reed séparés, Forster décide de terminer l'ouvrage avec leur huit chansons déjà écrites et en ajoute une, de sa griffe, The Evangelist, également titre de l'album qui parait en 2008.
Quand les Go-Betweens s'arrêtent en 1989, Robert Forster, aussi dingue du Velvet Underground, Emmy Lou Harris, Carpenters, que de Montesquieu, Rousseau et des poètes anglais, continue de composer des chansons et signera en solo des albums magnifiques. Il quitte l'Australie pour s'installer en Bavière avec son épouse Karin Bäumler dès 1990 et c'est à Berlin qu'il enregistre Danger in the Past. Ce superbe premier album en son nom offre une pochette clin d'oeil à James Joyce. Forster se fait photographier dans la même posture que l'écrivain et poète irlandais posant avec sa guitare sur un cliché. Suit en 1993 Calling from a Country Phone, enregistré à Brisbane avec la collaboration de Glenn Thompson à la batterie et en 1994 l'album de reprises I Had a New York Girlfriend. En 1996 il repart à Londres et y retrouve son ami des Orange Juice, l'écossais Edwyn Collins, pour peaufiner ensemble Warm Nights. Forster fera une pause pour se consacrer à l'écriture de nouvelles et d'un roman avant de retrouver en 2000 son ami McLennan pour relancer The Go-Betweens, signer les trois fabuleux albums jusqu'au drame de 2006.
2015, sort l'album qui m'émerveille, Songs to Play. La très belle nouvelle est que Robert Forster a enregistré cet été 2018 à Berlin avec le même producteur qu'en 1990, Victor Van Vugt, un nouveau bijou qui paraitra en mars 2019 chez les amis allemands Tapete Records. J'aime Songs to Play, enregistré à la maison dans les montagnes avoisinantes de Brisbane. A mes oreilles, il contient l'âme des Go-Betweens, des références musicales et littéraires comme Robert sait si bien nous régaler, des mélodies poppeuses intemporelles et des arrangements souriants. On entend l'inspiration à la création et le plaisir à enregistrer, à jouer. La galette en or commence avec la guitare électrique bondissante de Learn to burn jouée par Louis Forster, son fils. La relève est assurée et bien assurée. Karin, sa femme, est également présente au violon. Le clan Forster est lié sur tout l'album et ils emmènent avec eux des artistes talentueux, le bassiste et pianiste Luke McDonald, le batteur qui brille à toute la rythmique Matthew Peile et le guitariste, clavieriste, Scott Bromiley. Robert Forster avait produit dans le passé Luke et Scott pour leur excellent groupe The John Steel Singers, et pour ce grandiose Song to Play, les musiciens reviennent accompagner leur ami et leur attachant mentor dandy.
Grant&I, livre de 2017 |
Dans cette ambiance joyeuse de travail et d'amusement, Let Me Imagine You continue la cavalcade d'harmonies, avec des envolées de picking. La mélodie s'aligne au thème ironique du manque d'élégance et de romantisme des moyens de communication actuels bourrés de selfies qui brident l'imagination. Suit le fantastique Songwriters On The Run où Forster en duo avec Karin, ranime l'esprit de Grant en narrant l'histoire de deux inséparables amis qui font les quatre-cent coups, évadés de prison, chargés d'une seule mission, celle de jouer leurs chansons. L'optimisme rayonne dans les partitions et les accords. L'atmosphère chaleureuse qui émane des chansons et qui séduit mon oreille, vient du son volontairement analogique, brut et humain, ne voulant pas de numérique, pas de compresseur ni de convertisseur. Le titre amoureux de And I Knew glisse majestueux avec son clavier mutin, ses cloches et son glockenspiel taquins pour consacrer la magie de ses trente années de bonheur auprès de son épouse.
Les guitares tendues reviennent en première ligne sur A Poet Walks, où la plume de Forster est passionnée et rock'n roll sur des arrangements alternatifs qui plairont aux amateurs de Love et Luke Haines. L'envie de danser saisit quand les cordes pincées de I'm So Happy For You sont alliées au clavier psyché et mods, au violon énervé et à la batterie, la basse resplendissantes. La bossa nova de Love Is Where It Is et ses 'papapa' sensuels sont sixties, rappelant la sophistication et la classe de This is Beaumont. Lou Reed est omniprésent dans les arpèges de guitares, le style enlevé et poétique du chant et des mots choisis. Turn On The Rain rend évident le talent inné de Forster pour composer de l'indiepop, un don divin pour aller à l'essentiel, et toucher. Ses sarcasmes, son ironie sont truculents sur I Love Myself And I Always Have qui recoiffe les nombrilistes et dont la basse me chavire, se promenant comme une reine reliée à la guitare. L'album s'achève en douceur avec Disaster in Motion, un tempo envoûtant pour un titre bilan de six minutes, pleines de la voix somptueuse de Robert Forster qui contient des particules de punk, de poète dandy. Songs to Play est un album garni de pop, dans le fond, dans les formes, dans son message, sa mission et pour moi, un album qui surplombe aisément les autres. Il est difficile de choisir un titre, tout l'album est beau. A l'écoute de Robert Forster, on entend Nick Cave, Lou Reed, Bob Dylan. Song to Play est classé dans le panthéon des disques Piggledy Pop.
RobertForster