dimanche 23 juin 2019

Kishi Bashi

Kaoru Ishibashi alias Kishi Bashi, multi-instrumentiste, est un maestro américain d'origine japonaise qui fait resplendir le genre indie-pop orchestrale. L'artiste a comme instrument de prédilection le violon avec lequel il excelle au sortir de Berklee College of Music, accompagnant sur scène d'autres musiciens comme Of Montreal et Regina Spector . Arrangeur, ingénieur, il écrit, compose pour son premier groupe Jupiter One en 2003 à New-York puis commence l'aventure solo à Athens où il vit en signant son premier galop, l'EP Room for Dreams en 2011, suivi du vinyle 7" Box Set dont les six titres comprennent une reprise des Talking Heads. Dès l'arrivée de l'opus 151a, la reconnaissance et l'admiration sont au rendez-vous. Lighght, le deuxième volet est signé en 2014, puis Sonderlust en 2016. Kishi Bashi, lancé sur sa route, frappe encore plus fort de disque en disque. Depuis ce 31 mai 2019, le troisième album Omoiyari est paru, un bijou pop symphonique absolu, désarmant de qualité.



Outre ses atouts infinis de musicien, Kishi Bashi sait écrire des partitions symphoniques en les arrangeant de manière pop alternative et en les couvrant d'une poésie lyrique sublime. Ce fils d'immigrés japonais a dédié cet album aux 120 000 innocents civils victimes de la barbarie américaine, enfermés dans des camps, entre 1942 et 1946. Un tiers d'entre eux japonais, les deux autres, des natifs américains d'ascendance japonaise. La traduction du mot Omoiyari vient de compassion et signifie empathie. Le message de l'artiste distribué, certainement pas introspectif, se penche sur l'histoire d'autres, signant des mini scenari en guise d'hommages. Chaque titre revient sur les aventures des êtres et des relations humaines de cette époque, dans ce contexte historique. Usant de magnifiques métaphores Kashi ouvre ce disque somptueux avec Penny Rabbit and Summer Bear, évoquant l'amour sur une instrumentation dosée et pourtant fournie, un chant sucré délicat lui aussi, envahissant. A ses côtés, il y a Nick Ogawa au violoncelle et le 1093 String players, offrant des partitions de violons, d'altos, éblouissants sur F Delano. Ce titre rappelle le contraste entre l'image lissée avec sa morale 'droit de l'hommiste' de Franklin Delano Roosevelt qui entretenait en parallèle les camps d'internement pour japonais. Marigolds déploie ses ailes chamber pop pour offrir un feu d'artifice de cordes et des voix magnifiques qui s'adressent à celle qui vient du siècle passé.



Puis le radieux A Song For You, aussi touchant et vibrant, fait répondre le chant et les instruments dans une orchestration fleurie grandiose pour évoquer la mémoire érodée par la séparation. Les guitares s'envolent et Pip the Pansy resplendit à la flûte, électrisant l'atmosphère romantique et folk comme sur Angeline qui souligne le sentiment d'un homme emprisonné loin de sa belle. Ce thème continue sur Summer of '42 qui accueille la section de cuivres et de cordes du Nu Deco Ensemble pour concocter un titre émouvant qui m'hypnotise. Ce titre d'une finesse exigeante délivre des arrangements de rêve pour évoquer ces hommes 'japs' enfermés et enrôlés dans l'armée américaine qui ne pourront jamais rentrer chez eux, ne plus revoir leur femme, leur famille. Kishi Bashi ne lâche pas prise. Son hommage devient intense et perturbant de beauté avec Theme From Jerome (Forgotten Words). La violoncelliste Emily Hope Price le rejoint, ainsi que son épouse Keiko Ishibashi pour assurer la voix japonaise de la mère éloignée et désespérée de ne plus jamais revoir son fils passé au Jerome War Relocation Center en Arkansas (comme les Relocation Center dans le Wyoming, Californie, Arizona, oregon, Hawai et Washington). Et les mélodies foudroyantes de beauté se suivent pleines d'émotion. Greg Hankins brille à la guitare A Meal for Leaves accompagné de l'ensemble de cordes, de la flûte, des voix divines d'Andrea DeMarcus, Claire Campbell, SJ Ursrey et sur celle de Kishi qui gagne toute mon admiration sur Violin Tsunami. Le musicien est éclatant de talent, au violon, au chant, en chef d'orchestre, sur ce titre qui tel un cri d'alerte rappelle à la vigilance contre la tyrannie qui frappe aux portes de l'occident.



La vidéo qui déroule les aquarelles du couple Julia et Mike McCoy va comme un gant au thème. La somptueuse chamber pop compte également Mike Savino du groupe Tall Tall Trees qui assure le banjo et la basse, Dave Kirslis l'orgue, Ryan Oslance la batterie et JoJo Glidewell, piano et Hammond. Tous sont alliés au banjola pour le dernier Annie, Heart Thief of the Sea, enregistré live en studio, montrant l'étendue artistique du musicien. Kishi Bashi, élégant, ne critique, ni ne se fend de morale ici mais peint simplement l'histoire, sans faiblir dans l'élégiaque en offrant un grand Omoiyari, keepsake pop symphonique efficace et respectueux des faits : Dans le top 5 des disques Piggledy Pop 2019. A venir, le film documentaire qui marie musique et histoire, la gestation du disque, sa création et le salut de ces milliers de japonais incarcérés aux USA pendant la seconde guerre mondiale effaçant leur identité et remplaçant leur culture. Le troubadour Kaoru Ishibashi nous invite à la piqûre de rappel avec le magistral Omoiyari the Songfilm prévu en 2020.
KishiBashi



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