mercredi 15 août 2018

Jean-Charles Foucrier - La stratégie de la déstruction

Le Transportation Plan est mis en lumière par l'historien Jean-Charles Foucrier dans son livre La stratégie de la déstruction - Bombardements alliés en France, 1944. Il est paru chez l'éditeur Vendémiaire en décembre 2016 à la suite de la soutenance de thèse de doctorat de son auteur en novembre 2015. Comme décrit au dos de l'ouvrage, "ses recherches portent sur la stratégie militaire, la propagande, l'opinion publique et l'historiographie des bombardements aériens sur la France durant la Seconde Guerre mondiale."
"Le scientifique britannique Solly Zuckerman a en effet, depuis 1940, conçu un vaste plan d'attaques aériennes dont le système ferroviaire français est la cible privilégiée : gare de triage, centres de maintenance, centres de stockage du matériel roulant...Il s'agit de paralyser les mouvements de l'ennemi en prévision du Débarquement."



Ce 'vaste plan' se nomme Transportation Plan. Il est mis en place par Solly Zuckerman, éminent biologiste, expert ès-endocrinologie et physiologie de la reproduction chez les primates. Reconnu et admiré, respecté, il publie en 1932 son premier livre La vie sexuelle et sociale des singes, puis un autre en 1933 sur le même domaine avant de partir un an à Yale poursuivre ses recherches. Cela ne laisse pas présager au prime abord de le retrouver dès 1939 au sommet de la hiérarchie du commandement allié. Il rentre donc à Oxford en 1934 pour enseigner et sera professeur d'université jusqu'en 1939. Avant son séjour aux Etats-Unis il avait crée un club qu'il renouvelle à son retour sur l'île. Ce club de gentlemen 'politisés' s'appelle The Tots and Quots et compte dans ses membres des scientifiques, économistes et autres universitaires. Parmi eux, une figure notable dans la genèse du Transportation Plan : Frederick Lindemann surnommé 'prof', futur Lord, vicomte Cherwell qui deviendra un proche conseiller de Churchill
1938, suite aux accords de Munich, Zuckerman et Bernal, un ami scientifique, rédigent un memorandum qui souligne le rôle de la recherche scientifique vers la production de guerre, la défense contre les attaques aériennes et l'aide aux victimes des bombardements. Ces pages sont publiées et le livre Science in War parait en 1940. D'abord anonyme et confidentiel, ce petit livre édité chez Penguin, amorce l'idée du Transportation Plan.

Zuckerman veut s'impliquer. Bernal travaille alors au Ministry of Home Security. Ensemble ils étudient les effets des bombardements sur primates et tandis que l'Angleterre subit les attaques de la Luftwaffe cette année 1940, le rapport de Zuckerman et de Bernal intéresse les grandes instances de l'armée britannique. Leur ami du club, Lord Cherwell, plaide auprès de Churchill pour poursuivre l'étude de Zuckerman en lui communiquant une minute du rapport sur les impacts des bombardements sur les civils et les constructions.



Alors que Molotov scelle avec Churchill l'alliance anglo-russe, en 1942, un accord suit avec les Etats-Unis. Roosevelt veut attaquer au plus vite. En Angleterre, le Bomber Command avec Harris aux commandes et des milliers d'avions bombardiers sont prêts. Cette même année, Eisenhower est élu commandant en chef des forces américaines en Europe (SHAEF) qui devra préparer l'Overlord.  Eisenhower à la tête du SHAEF doit compter sur le répondant d'autres 'fortes' têtes comme celle du général de Gaulle, celle de Montgomery et celle de l'adjoint d'Eisenhower, Tedder, qui deviendra un solide ami du baron Solly Zuckerman. Celui-ci soutiendra contre vents et marées le Transportation Plan auquel il s'attèle dès 1942 en étudiant les bombardements sur la Sicile en 43 et de ses observations, trace les grandes lignes du Plan dressé afin d'augmenter les chances de réussite du Débarquement sur les plages de Normandie le 6 juin 1944. Pour assurer le bon déroulement d'Overlord, Zuckerman établit qu'il faut paralyser le système ferroviaire français, affaiblir la mobilité de l'armée allemande par opérations aériennes de bombardements.



Le Transportation Plan ne rencontrera pas que des transports de joie. Zuckerman doit s'armer de patience, essuiera quelques revers de ses détracteurs et ils sont nombreux, maréchaux et généraux, certains sont au SHAEF, à la direction des opérations du Bomber Command, au Committee of Four, au MEW, à l'EOU, au Joint Technical Warfare Committee ou au Joint Intelligence Committee. Zuckerman doit redoubler d'efforts pour convaincre après des nuits de délibérations et de polémiques, souvent stériles, organisées par Churchill réunissant ce 'monde' susceptible et ambitieux qui se repose sur des analyses et expertises inexactes ou trafiquées. Des missions de bombardement autres, en parallèle , comme les road-blocks sont menées, par l'AEAF et son commandant Leigh-Mallory. Les pour-parlers s'éternisent autour de la précaution officielle : la limitation du nombre de victimes. Mais officieusement, il est bien question de politique. Car depuis 1942, le Bomber Command de la RAF (royal air force) et l'US Air Force ne travaillent pas de concert mais sont en compétition. Dans cet esprit, ils procèdent à l'Area Bombing, un bombardement peu délicat souvent à l'aveuglette, sans précision. Celui sur Hambourg fera 40 000 victimes civiles. Le Transportation Plan doit effectuer des prédictions du total de victimes et Zuckerman sera celui aussi que l'on désignera pour vérifier et recenser le nombre de victimes l'été 44.

Finalement, Roosevelt tranche après des semaines de querelles, justement nommée par Jean-Charles Foucrier 'La guerre des Lords'. Le Transportation Plan commence bel et bien au printemps 1944, le 6 mars, trois mois jour pour jour avant le Jour J. L'opération est de désintégrer le système ferroviaire français, et pendant un mois et demie, le plan cible les hangars de locomotives, les gares de triage (reléguées au second plan, seule erreur évidente de Zuckerman), les voies de communication et ateliers de réparations, 80 centres ferroviaires soit 71 000 tonnes de bombes larguées. Il y a 20 000 morts normands en un mois et demie, 156 000 soldats alliés victimes des combats en Normandie, 4560 pertes de l'aviation alliée, 60 000 victimes françaises, Nantes, Rouen, Boulogne, le Havre, Saint-Etienne, Caen, Lisieux, allonge la triste liste de 12 000 à 15 000 tués ajoutés aux normands. Le terrible chiffre de morts chez les aviateurs, sur 125 000 membres d’équipage du Bomber Command on dénombre 55 000 morts côté anglais et 30 000 tués côté américain.



La lecture de la Stratégie de la destruction est passionnante. Jean-Charles Foucrier avec son travail fouillé et impressionnant permet aux non-initiés comme je le suis de comprendre en plongeant dans la logique militaire d'une part et d'autre part, l'ambiance de l'époque, particulière. De son état de gestation à sa structure et sa mise en oeuvre, son enjeu et ses résultats, le Transportation Plan fait froid dans le dos parce qu'il noue l'humanité et la psychopathie. Décortiqué et expliqué par l'historien qui compose ses écrits de références, d'annexes, de photographies, de graphiques, ce plan nous cueille par ces deux facettes, l'absence absolue d'empathie et l'enjeu de la Libération. Ce balancement de sentiments ou pas nous absorbe. Les attaques aériennes anglo-américaines aux objectifs stratégiques ou économiques ne laissent pas de marbre.

L'analyse et l'étude de Jean-Charles Foucrier apporte au récit une logique et un raisonnement applicable à toute époque. Le Transportation Plan destiné à bombarder la France dévoile l'impunité d'Eisenhower qui fait face à l'intransigeance et l'opiniâtreté du général de Gaulle qui démonte l'AMGOT sous l'oeil cruel et rieur de Churchill. Le Transportation Plan, dans les mois qui suivent la Libération de la France, sera appliqué à Allemagne, avec un nombre de morts civils inhumain et in fine, deviendra une zone d'occupation américaine. Du 13 au 15 Février 1945, les alliés bombardent Dresde en Allemagne, 3900 tonnes de bombes larguées, bilan humain 25 000 morts.







L'utilité et la nécessité du Transportation Plan sont décrits avec une grande qualité et ingéniosité par Jean-Charles Foucrier qui invite à la réflexion. Selon le suédois Niklas Zetterling, les alliés avaient 'surestimé la capacité de renforcement adverse' au moment où commence le Transportation Plan et d'après son étude minutieuse, démontre que les chiffres étaient 'extrêmement éloignés de la réalité'. Le polonais Mierzejewski quant à lui conforte l'efficacité du plan. Zuckerman lui-même un demi-siècle plus tard, cherchera 'une preuve nette de l'efficacité du Transportation Plan'.

L'étude du plan, de la stratégie des anglo-américains laisse entrevoir en toile de fond l'action de l'Ultra et ses révélations sur la faiblesse des armées allemandes avant et après l'Overlord, jamais prises en compte par les alliés, qui feront fi de la Résistance française et l'action du général de Gaulle, méticuleusement et systématiquement tenus à l'écart. Avec ses nuances fines coupées de délicieux secrets, de la délivrance de vérités, de témoignages surprenants et émouvants, Jean-Charles Foucrier mentionne sans concession ce qu'était le dessein du plan. La lecture de La stratégie de la déstruction - Bombardements alliés en France, 1944 est absorbante, captivante et éclatante.
LaStrategiedelaDestruction-BombardementsAlliésenFrance1944





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