Le Flegmatic fait mon régal depuis quelques jours. La plus belle découverte de l'année, il apparait comme le John Fante, le Brautigan de la french pop, ce qui inévitablement éveille mes sens.
En 2013, le musicien du sud-ouest Thomas Boudineau, alias Le Flegmatic, entreprend son premier EP tout en jouant du trombone dans le groupe Hiddentracks. Avec quelques chansons en plus, le six titres se change en album de dix chansons au joli nom de Esprit de Conquête qui parait en février 2015 via La Souterraine, même label qui participe à la sortie du tout récent Bouleversement majeur ce mois de février 2017.
L'auteur-compositeur est un électron libre ; Il voyage, saute d'un point à un autre, insaisissable et insatiable de littérature, de musique. Il dépose dans ses chansons un peu d'humour, un peu de pudeur poétique, un peu des paysages et des kilomètres parcourus. Virtuose de la dérision, il concocte des textes colorés et animés de sentiments, de thèmes allant de Peter Falk aux Pyrénées, du boucher à l'auto-école. Comme un guide, on le suit aussi parce que les mélodies enchantent et que sa voix nous cueille illico. L'aventure prend forme dès les premières notes de Tu es venue me parler, où le son de la guitare et le chant de Thomas explosent lumineux. Dès le début, par les arrangements délicats, le chant touchant, les mots lettrés et poétiques contemporains, le Flegmatic affiche son visage artistique. Les cannibales, offre une basse au rythme virevoltant, accompagnant le texte qui égrène des moments autobiographiques, ornés d'un harmonica souriant.
Chaque mot résonne, aussi important que dérisoire, comme sur En voiture frappée d'un style Beat Generation, qui entraine dans ses harmonies palpitantes et bouillonnantes où l'on passe du bitume impersonnel à la promenade familière, main dans la main. A l'auto-école, joué à la guitare et contrebasse, brille, marque la mélodie et file comme un courant chaud qui enrobe sur Mythes et alarme les sensations. Le Flegmatic dépose des émotions dans ses textes qu'il parvient à sculpter, tournant les thèmes matérialistes et réalistes en sujets romanesques. Puis Thomas resplendit sur Dark, malgré le titre et donne de la substance dans chaque corde, dans le grain de sa voix à la géniale douceur et simplicité. Même Chez le boucher, les tomates farcies et le gratin dauphinois apparaissent comme de véritables miracles mélodiques qui me rappellent le romantisme et la drôlerie de J'étais fait pour les sympathies chanté par JC.Brialy et signé S.Gainsbourg. Touchante et brulante, l'interprétation est savoureuse. Le chant, guitare, claviers, glockenspiel, harmonica, sont savamment dosés pour offrir une orchestration fine et cristalline.
D'ici on voit les Pyrénées s'inscrit dans l'album comme une ode au coin familier de l'auteur-compositeur avec qui on fait ce bout de chemin. Grand barrage, dans la veine de Peter Faulk sur le premier album, règle un petit compte personnel sur des joyeux 'shalala' d'une pop soyeuse et minimaliste adorable modelée pour créer un air accrocheur. Désert fourmille de sonorités, grouille de sentiments, et l'humour alterne avec la mélancolie. Sur Statue, la rythmique puissante apporte de la grandeur comme un tremblement de terre pour conclure sur un "je n'ai rien dit" triste, toujours nuancé, assez décalé pour allumer un sourire. En écoutant Le Flegmatic, ses airs joués, ses mots chantés, on est séduit par ses inflexions, ses réflexions, ses écarts de conduite tendres qu'on pardonne en fredonnant allégrement ses chansons.
Bouleversement majeur porte bien son nom. Il offre de l'émoi et de l'inspiration. A son écoute, je me mets même à rêver d'un roman signé Le Flegmatic.
LeFlegmatic