Henri Cartier-Bresson. Life. 15 mars 1963
Henri Cartier-Bresson m'intrigue et me fascine. Poète amoureux de Nerval et de Rimbaud, peintre féru de Piero della Francesca et photographe, je trouve sa personnalité passionnément et courageusement humaine, sa véritable âme d'artiste, admirables. Cette beauté intérieure se reflète sur ses clichés. Son oeil était sensationnel, au sens du terme. Son doigt appuyant sur son légendaire Leica qui ne le quittera jamais, jusqu'à sa mort emmailloté dans un mouchoir, prêt à dégainer, telle l'arme du chasseur, créait des oeuvres d'art. Ce petit appareil il se l'offre en 1932 et ne quittera plus la paume de sa main jusqu'en 2004. Au travers de ses photographies, Cartier-Bresson, tempérament avant-gardiste, témoigne, loue la vérité que seule son oeil de lynx cherche. Le respect de l'être humain prime. Ce qui compte c'est " l’homme, l’homme et sa vie si courte, si frêle, si menacée ". Il s'est attelé toute sa vie à fuir les étiquettes, sauvegardant son autonomie et ouverture d'esprit sur le conseil de son ami photographe Capa : "Attention aux étiquettes. C’est sécurisant. Mais on va t’en coller une dont tu ne te remettras pas : celle de petit photographe surréaliste. Tu vas être perdu. Tu vas devenir précieux et maniéré. Prends plutôt l’étiquette de photojournaliste et garde le reste dans ton petit cœur".
Né en 1908, il traverse un siècle, commençant par quitter le lycée, il décide de prendre des cours de peinture au sein de l'atelier d’André Lhote en 1926 où il travaille ardemment et apprend à cadrer artistiquement ses émotions. Mais il se rend compte que son tempérament, surnommé dans sa jeunesse par ses collègues scouts "anguille frétillante", ne peut pas se résigner à la patience du peintre. Féru de chasse de gros gibier, il chasse même la nuit quand il acquiert son appareil photo portatif à 26 ans et s'éprend du 'tir photographique'.
Dès lors, avec curiosité, il voyage accompagné de son ami André Pieyre de Mandiargues qui dit "J’ai vu naître 'Henri Cartier-Bresson' par une sorte d’activité spontanée, une espèce de jeu d’abord qui s’était imposée à ce jeune peintre comme à d’autres gens s’impose la poésie. Ce qui est extra, c’est que nous avons découvert, ensemble ou pas, ce qui allait devenir essentiel : la peinture cubiste, l’art nègre, le surréalisme, Rimbaud, Lautréamont, James Joyce, la poésie de Blake, la philo de Hegel, Marx et le communisme…". L'aventure les mène en Espagne, en Italie, à Paris et le "merveilleux quotidien" de ses rues, gare Saint-Lazare, Place de l'Europe... Il mitraille.
Henri Cartier-Bresson dira "Je ne quittais jamais mon appareil, toujours à mon poignet. Mon regard balayait la vie, perpétuellement. C’était là où je me sentais très proche de Proust lorsqu’à la fin de la « Recherche » il dit : la vie, la vraie vie enfin retrouvée c’est la littérature, pour moi c’était la photographie ! ".
Les magazines Voilà et Photographie publient ses images, sur papier mat au charme diablement irisé privilégiant les cadres originaux et le premier plan, qui seront dès 1933 exposées par la galerie Julien Levy de New York et l’Ateneo de Madrid. Puis il s'aventure au Mexique, en passant par New-York où de nouveau, son art de flanquer des harmonies dans ses clichés fait objet d'exposition en 1935 avant de revenir à Paris pour assister Jean Renoir sur La vie est à nous et Partie de campagne en 1936. Il tourne des documentaires et reportages comme With the Abraham Lincoln Brigade sur la vie des soldats américains pendant la guerre, ou le couronnement du roi Georges VI d’Angleterre pour le journal Ce soir et la Guerre d’Espagne, L’Espagne vivra. Il travaille encore avec Renoir pour La Règle du jeu en 1939 avant de rejoindre la 3ème armée et être fait prisonnier en juin 1940. Il tente de s'évader deux fois et la troisième fois sera la bonne. Il rejoint la Résistance. 1944, l'éditeur alsacien Pierre Braun des éditions Brauns lui fait une commande de série de portraits naturels, sans artifices, sous forme de reportages où se dévoilent Claudel dans sa maison de campagne en 1945, Matisse au milieu de ses colombes, Braque, Sartre et sa pipe sur le pont des arts...
Henri Cartier-Bresson aime 'l'instant décisif', notion qu'il emprunte au cardinal de Retz, thème récurrent dans son discours ; Cet instant où se nouent "sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur". 1947 à New-York, son travail est exposé au MOMA. Il met en action son 'instant décisif' en créant l'association Magnum Photos, regroupant les photographes internationaux, Robert Capa, David Seymour (dit Chim), George Rodger et William Vandivert. Il rencontre Eli une indonesienne qu'il épouse en 1948 et sillonnant l'Inde, les circonstances lui font photographier Gandhi sur son lit de mort. Suivront la Chine de Mao et son mouvement 'en marche' des communistes, l'URSS où il est le seul a obtenir un visa et une autorisation en 1953 étant devenu grand-reporter . Il revient en Europe, ses oeuvres sont exposées à Londres et Paris. Il repart au Mexique, en Chine, puis Cuba en 1963, le Japon, l'Inde...1966, il rencontre Martine Franck, photographe et l'épouse en seconde noce. Fin précurseur, il est où il faut être pour immortaliser le moment. 1968, la France est en ébullition et sera le sujet d'un de ses derniers reportages. Il va sur les routes du pays si cher à son coeur et mitraille des milliers de clichés. Le Reader’s Digest les publie en 1970 sous le nom Vive la France avec un texte de François Nourissier couronné d'une exposition au Grand Palais. Il fait un court séjour à Moscou en 1973 puis rentre et pose ses valises, à Paris, recherche de la sérénité.
Ses photographies traversent le siècle, les continents jusqu'en 2000 quand éloigné de Magnum, il crée avec sa famille, sa femme, leur fille Mélanie Franck, la Fondation Henri Cartier-Bresson, destinée à rassembler son œuvre, à créer un espace d’exposition ouvert à d’autres artistes, reconnue en 2002 d’utilité publique par Jacques Chirac.
"Faire un portrait est pour moi la chose la plus difficile, C’est un point d’interrogation posé sur quelqu’un.", le grand photographe aura eu dans son point de mire, dans sa pupille, dans son viseur, dans son regard : Marcel Duchamp, peu de temps avant sa mort, jouant aux échecs avec Man Ray, William Faulkner, Arthur Miller, Marilyn Monroe, Robert Kennedy, Jean Genêt, François Mauriac, Roger Nimier, Alberto Giacometti, son ami, Truman Capote, Dali mais aussi des inconnus qui à mes yeux sont les plus touchants, comme la poissonnière à Marseille, les enfants rue Vaugirard, le dandy autrichien à monocle . Les yeux perpétuellement en recherche de vérité, de beauté absolue, passent du « tir photographique » à « la réceptivité » du motif. Jusqu'à la fin de sa vie il continue de photographier ses proches, ses chats, se consacre au dessin, à la lecture, jusqu'à fermer les yeux en 2004, ses yeux, témoins magnifiques du XXème siècle.
FondationHCB" Proust et Saint-Simon : ils savaient regarder, ceux-là "
Henri Cartier-Bresson