Entre les deux guerres, le gouvernement britannique y voit un système de communication puissant à maîtriser et crée la BBC en 1927. Elle a le monopole, la population anglaise n’a donc peu de moyens de s’indigner contre la redevance obligatoire. Dans un soucis d’expansion, le gouvernement crée en 1930 la IBC, branche internationale de la BBC. C’est alors que d’autres petites radios apparaissent, prennent de l’ampleur comme Radio Normandie, Radio Lyon et Radio Luxembourg qui détrônera la BBC en 1936, battant les scores d’audience et qui sera la première et la seule jusqu’en 1950, à jouer de la musique populaire. L’Angleterre rage du succès de Radio Luxembourg et fera tout pour bloquer son signal jusqu’à la tombée de la nuit, moment qu’attendent les anglais pour se brancher à la radio et pour swinguer dans leur living-room.
C’est au milieu de cette querelle d’intérêts qu’arrive à Londres au début des années 60, un jeune irlandais, aristocrate, doté d’une forte personnalité et qualités intellectuelles, Ronan O’Rahilly. Il ambitionne de devenir réalisateur de films. Au détour de soirées, il découvre Ray Charles et le rythme’n blues de Georgie Fame. Devenu fan de musique, il s’engage auprès de groupes de musiciens pour les aider, les manager et leur organiser des concerts. Il crée donc son propre label de musique et dans ce cadre, se rend à la BBC et à Radio Luxembourg pour vanter les mérites de ses groupes et qu’elles les passent sur les ondes. Les deux radios qui ont le monopole, un complexe de supériorité, snobent O’Rahilly dont la réaction ne se fait pas attendre et qui en dira : « si en plus d’être manager, je dois créer un label pour enregistrer les groupes mais qu’aucune radio ne veut les diffuser, la seule chose à faire est de créer ma propre radio !» Au cours d’un diner, Ronan entend parler d’une émission de pop qu’anime un américain à bord d’un navire de la US Navy sur les côtes françaises. L’idée germe et l’irlandais se renseigne sur la possibilité d’émettre des ondes sur les eaux internationales pour contourner les lois rigides anglaises et continentales. Il lui faut un bateau. Il lui faut des emetteurs moyennes ondes. Il s’associe à un australien, Alan Crawford, séduit par l’initiative. Ronan achète un navire, le Fredericia Ferry et Crawford achète un autre, le Mi Amigo. Ils dénichent des antennes, des générateurs de 10kw et des émetteurs. Ronan cherche un nom pour la radio et prendra celui qui lui attire l’oeil en regardant une photographie de la famille présidentielle américaine Kennedy où Caroline apparait. Radio Caroline est née.
Le premier navire Fredericia qui abrite Radio Caroline lève l’ancre et part la jeter dans la Mer d’Irlande et diffusera en Irlande, Ecosse et tout le Nord de l’Angleterre. Sa petite soeur gerée par l’associé Crawford s’appelle Radio Atlanta sur le Mi Amigo qui jette l’ancre au large de l’Essex et couvre les ondes du pays côté Est jusqu’à Londres. Le dimanche de Pâques 1964, les deux voix des DJ Chris Moore et Simon Dee, pleines de stress et de trac annoncent la naissance de Radio Caroline en l’inaugurant avec le titre Not Fade Away des Rolling Stones et en le dédiant à son fondateur Ronan O’Rahilly.
Radio Caroline is «on air» !
Le noble Ronan fait voler en éclat la BBC et Radio Luxembourg; Le noble irlandais tient sa revanche. A l’automne 1964, Caroline a plus d’auditeurs que la BBC et ses chaines annexes. On dénombre des dizaines de millions d’auditeurs et la station attire sans compter un nouveau public. Il y a même des groupes de fans qui affluent du monde entier pour pouvoir monter sur le bateau et rencontrer les DJ devenus des stars. Caroline parvient à émettre encore plus loin, le succès est grandiose. Le gouvernement britannique n’aura de cesse à menacer Caroline et ses occupants, bataillant, pestant en tentant de noircir la renommée de Caroline qui compte en 1967 presque 20 millions d’auditeurs. La suite est un roman de cape et d’épée...rocambolesque à souhait. Radio Caroline, poursuivie, harcelée par les autorités, disparaitra une nuit pour jeter l’ancre dans d’autres eaux, se faisant appeler Free Radio Caroline et diffuse le titre «catch me if you can» devenu l’hymne de la radio. Ronan n’en démord pas. A ses côtés, il y a les DJ Jonathan King, Don Allen, Johnnie Walker, Robbie Dale, Carl Mitchell, Muldoon, Mike Hagler, John Peel, Kenny Everett, Dave Cash. Caroline est désormais appelée «la dame» par les initiés. Pourchassée par le gouvernement anglais, la journée du 14 aout 1967 sera une bien triste date pour elle et les auditeurs. Le navire est sommé de couper l’antenne définitivement sous peine d’emprisonnement de ses DJ. A 15h, c’est une grande émotion et les auditeurs découvrent avec horreur cet arrêt. Les fans et passionnés sont en larmes en entendant le titre qui boucle la vie trépidente du Caroline avant le silence définitif. Ce sera A day in the life des Beatles.
Biensûr. C’était sans compter sur Ronan O’Rahilly qui avait anticipé cet arrêt et qui dès le lendemain convoque toute l’équipe sur le pont au large des côtes hollandaises. Le pirate n’a pas attendu que la police anglaise s’empare du navire comme elle comptait le faire et il a fait route pendant la nuit. O’Rahilly déclarera sur les ondes que «Caroline appartient au public et ne cessera jamais de faire voguer ses ondes et une programmation diaboliquement pop, du foutu rock’n roll, tous les jours, toutes les nuits.» Le bateau rendra l’âme bien plus tard à cause de soucis techniques mais pas en 1967 comme le gouvernement l’avait espéré. L’histoire de Radio Caroline est une belle aventure, nourrie de héros et de tempéraments qui ont inspiré le réalisateur Richard Curtis dont le film The Boat that rocked est une réussite absolue. (voir article Piggledy Pop )
TheBoatThatRockedPiggledyPop